Sur Peter Zumthor

Chappelle Saint Benedict, Comté des Grisons, Suisse

Un article très intéressant réalisé par Le Monde sur Peter Zumthor, cet architecte suisse, chez qui la forme, les matériaux sont voies vers la liberté, vers le mystique.

A l'intérieur de la chapelle.

Ses réalisations sont peu nombreuses et localisées ( souvent en Suisse, dans les Grisons en particulier),mais comme il le dit dans l’entretien, il a pris le temps de « construire de la valeur »,  ou comment allier des matériaux pures, nobles et des formes simples pour creer des lieux d’ infini.

 


«Peter Zumthor : « Je produis de la valeur »

Tout en grandeur, tout en ampleur, le parcours vers Haldenstein dilate l’esprit. Quittée la Suisse urbaine, abandonnées les vaguelettes qui lèchent les rives résidentielles du lac de Zurich… Les rails courent à travers la plate vallée rhénane, les parois en fer à cheval des Alpes grisonnes se dressent, retiennent et serrent progressivement la plaine entre leurs bras. Le train s’y engouffre, parvient jusqu’à Coire ; ensuite, c’est par le car postal que l’on gagne, dix minutes plus tard, le village du temps passé où a choisi de vivre et de travailler l’architecte Peter Zumthor. Géraniums aux fenêtres, murailles crénelées d’un château Renaissance, forte odeur d’étable. Mais Haldenstein n’appartient pas à la catégorie des bourgades vitrifiées ; au contraire, elle s’active en agriculture, en industrie et en architecture. Le studio et la résidence du maître sont discrètement incrustés dedans.

On se rend à Haldenstein pour rencontrer le Pritzker Prize comme on visiterait une cathédrale. Il n’aime pas ça, il n’a pas le temps. Pourtant, l’architecte des célèbres thermes de Vals reçoit avec cordialité. S’exprime avec ouverture. Ne se drape pas dans une fausse modestie. Il faut, pour pénétrer chez lui, enlever ses chaussures. Puis l’on glisse d’une pièce à l’autre, en croisant des tables élevées où se succèdent des maquettes posées à hauteur d’yeux. Derrière les bureaux placés face aux vitrages, le silence, la concentration impressionnent. Ni disciples ni apprentis, « s’ils viennent ici, ils doivent m’aider », affirme Peter Zumthor.

Insensiblement, de l’espace professionnel on passe à l’espace privé et de pièces lumineuses à une pénombre chaude et modulée où dominent la douceur, le velouté du bois. « C’est comme à la ferme où vie et travail ne font qu’un, aime-t-il déclarer. Quand je travaille, je vis et quand je vis, je travaille, c’est un luxe que je peux m’offrir. »

Atelier dans le jardin ? Jardin dans la maison ? Par les vastes transparences de la salle de séjour, le regard plonge dans un feuillage aux reflets roux, un peu hirsute. Un long patio-jardin unit, en effet, Casa Z, bâtiment à deux niveaux en béton et toit en tôle ondulée, achevé vers 2004, et le petit atelier revêtu de lames de bois réalisé vingt ans plus tôt et toujours en activité. Près de la cheminée, de grands jouets taillés dans un bois clair soigneusement poli : « Oui, c’est moi qui les ai fabriqués pour mes petits-enfants… »

Fils d’ébéniste, Peter Zumthor, 68 ans, s’engage d’abord dans un apprentissage de charpentier, qu’il poursuit à l’Ecole d’arts appliqués de Bâle, sa ville natale ; c’est là qu’il acquiert, estime-t-il, les fondements de son métier. C’est ensuite seulement qu’il vient à l’architecture, lors d’un séjour à New York au Pratt Institute, où il étudie le design industriel. Il rentre en Suisse sans décrocher de diplôme et travaille comme conservateur du patrimoine auprès des Monuments historiques du canton des Grisons. Les chantiers de restauration qu’il conduit lui permettent d’approfondir sa sensibilité et son savoir des matériaux. Formé au travail de la main, à la rigueur et à la minutie, il en fait le socle de sa vérité architecturale. Une admiration sans réserve entoure ses ouvrages, peu nombreux mais qui s’imposent par une présence et une densité qui disent l’éternité.

On vous décrit souvent comme une vedette bourrue, un solitaire à l’humeur sombre. Est-ce que vous vous reconnaissez ? Pas du tout. On colporte une foule de mythes à mon sujet. Ainsi, on me dit lent alors que je suis très rapide, en particulier dans la pensée et le dessin. On prétend que je n’obéis pas à la raison économique. Et c’est vrai. Mais il faut du temps pour amener un projet jusqu’à sa meilleure forme ! Je fais au mieux, je porte mes projets aussi loin que je peux. Mais, à un certain moment, il faut que je m’arrête pour prendre du recul. Ce qu’un architecte commercial ne se permettrait pas.

On évoque aussi les surcoûts très élevés de vos constructions.

En effet. Mais on omet de dire que je produis aussi de la valeur. A un responsable financier qui me reprochait d’avoir dépassé de cinquante pour cent le budget du Musée diocésain de Sainte-Colombe, à Cologne, et de deux ans la durée impartie pour sa réalisation, j’ai rétorqué : « C’est ce qui pouvait arriver de mieux ! » A-t-il seulement calculé ce que rapportent les personnes qui affluent par milliers maintenant pour en faire la visite ? Qui aiment le bâtiment et se déclarent heureuses ?

Selon quels critères choisissez-vous vos projets ?

J’ai toujours été sélectif et je le reste (il utilise le mot anglais « picky »). Je n’accepte que des propositions ayant à mes yeux un sens, un intérêt social ou culturel, et adéquates quant au lieu. Pour moi, contenu et forme vont ensemble ; je ne suis pas prêt à exécuter un programme préalablement défini. Il faut donc que mon client accepte que nous approfondissions et développions l’idée première ensemble. Et qu’il comprenne le projet comme un processus original d’apprentissage réciproque. Nous devons pousser au plus loin notre intelligence du projet, ce qui peut prendre beaucoup de temps. Notez qu’en fin de course il se sera créé une intimité entre mes clients et moi ; nous devenons amis.

Vous réalisez parfois des projets éphémères. Pourquoi ? J’aime les événements festifs où tout se mélange. C’est dans cet esprit que j’ai réalisé le pavillon intitulé « Corps sonore suisse » pour l’Exposition universelle d’Hanovre en 2000. Partant d’une idée de Gesamtkunstwerk (oeuvre d’art totale), j’ai convoqué tous les arts, de la musique jouée par des musiciens ambulants à la cuisine, en passant par la mode, afin qu’ils se fondent dans l’architecture. Avec 2 800 m3 de mélèzes et de pins Douglas de nos forêts, j’ai construit une grande et haute structure en bois odorant et, prenant très au sérieux le thème donné – la préservation de l’environnement -, j’ai fait en sorte que les poutres, tenues par des câbles d’acier, soient assemblées sans colle ni boulons.

Cet été, vous avez été désigné pour imaginer le pavillon éphémère de Kensington Gardens, que la Serpentine Gallery de Londres commande chaque année à un architecte de renom. Pour quelle raison avez-vous accepté ?

Peut-être ai-je été flatté ? Et aussi parce que le jardin occupe une place importante et grandissante dans mon travail. Autrefois, les jardins me paraissaient extérieurs, mais plus j’avance, plus je voudrais me trouver dans le jardin et qu’il constitue une partie de moi. Avec ce hortus conclusus (jardin enclos) conçu en collaboration avec le designer néerlandais Piet Oudolf, j’ai le sentiment d’avoir accompli un pas de plus dans cette direction. Il est beau de construire une pièce d’architecture dont le jardin est placé au centre, une maison pour entourer le jardin, en somme. A la différence du pavillon de Hanovre, je vois celui de la Serpentine non comme un événement mais comme une méditation. Je prépare un autre jardin pour la Maison des sept jardins que je construis pour un client à Doha.

Votre tout dernier projet, le Steilneset Memorial, inauguré cette année, a été réalisé en collaboration avec l’artiste franco-américaine Louise Bourgeois, récemment décédée. Comment s’est déroulé votre travail en commun ?

Nous avons été invités à imaginer un monument à la mémoire des victimes de la chasse aux sorcières, brûlées à Vardo, dans le Finnmark, au nord de la Norvège, au XVIIe siècle. J’ai commencé en premier, à la demande de l’artiste, en construisant une galerie de 125 mètres de long avec une fenêtre illuminée pour chacune des 91 femmes condamnées au bûcher. On peut y lire dans la pénombre leurs biographies et leurs aveux. Louise Bourgeois y a ensuite réagi par l’oeuvre Les Damnées, les possédées et les aimées – une chaise en flammes entourée d’un anneau de sept miroirs ovales qui réfléchissent la flamme en la distordant – pour laquelle j’ai réalisé un pavillon. Je n’aime ni les monuments ni les symboles. Je considère avoir réussi, car lorsqu’on entre dans le mémorial, on se prend à sentir la présence de ces femmes et des larmes vous viennent aux yeux.

Vous avez enseigné durant dix ans à l’Accademia di architettura de Mendrisio. Qu’avez-vous transmis à vos élèves ?

J’ai essayé de les ouvrir à une approche artistique. J’ai voulu qu’ils aillent au-dedans d’eux-mêmes, profondément. Qu’ils ne se fient ni aux exemples ni aux formes. Qu’ils évitent l’artifice, mais qu’ils poursuivent de vraies idées d’architectes.

Lorette Coen (« Le Temps »)

Article paru dans l’édition du 18.12.11 »

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